Celles-ci ont un caractère mythique qui selon la définition du mythe,
oscille entre l’imaginaire et la réalité. Oui, elles sont réelles, elles
existent, mais leur ascension vous parait inaccessible…
L’ascension de ce genre de voie est généralement évoquée un peu tard
dans la soirée, désinhibé par l’alcool et la surenchère de vos amis !
Cette voie, ouverte en 1969 dans la zone la plus raide de la face nord
du Vignemale par Raymond Despiau et Jean Claude Luquet entre dans cette catégorie.
L'ouverture dans des conditions hallucinantes pour l’époque (4
jours dans la face, des bivouacs sordides, seulement 1 l d’eau, sans parler des
techniques et du matériel…) sera remise au gout du jour 25 ans plus tard par la
première répétition de Jérôme Thinières
en hiver et en solo ! La même année,
le boulimique « Bunny » accompagné de Pierre Beuscar s’octroient
la deuxième, en été, avec seulement un bivouac. Ensuite, plus rien… Les
différents récits de leurs ascensions ainsi que la réputation de ses différents
ascensionnistes élèvent la voie au rang de fleuron du pyrénéisme.
Cet hiver, deux pointures espagnoles spécialistes en la matière, Oriol
Baro et Sidarta Gallego réalisent
la troisième répétition en 3 jours et confirment le côté vraiment
sérieux et engagé de l’entreprise.
Il va falloir se motiver…
Je me mets à en discuter sérieusement avec mon ami et collègue Rémi
Thivel qui pour les mêmes
raisons que moi tarde à y aller… Afin de ne pas remettre pour la xième
fois cette ascension, nous nous imposons de bloquer une semaine plus de deux mois à l’avance. Organisation familiale, refus de journées de boulot… Quelques jours
avant l’échéance, la météo annoncée n’est vraiment pas terrible… Reporter
encore… Trouver une excuse et « mettre le clignotant » vers une
destination ibérique plus hédoniste… Non !!! On décide de tenter le coup,
et de rester fidèle à l’esprit des ouvreurs qui ne s’embarrassaient pas d’une météo alors
inexistante !
On se retrouve à trier notre « barda » sur le parking du Pont
d’Espagne et nous voilà chacun bien chargé avec nos sacs de hissage sur le dos.
Nous ne crachons pas sur les remontées mécaniques de la station qui nous font
économiser une heure de marche. La suite de l’approche qui nous mène au refuge
des Oulettes, aidé par le paysage magnifique qui nous entoure et la teneur
philosophique de nos discutions, s’avère être une simple formalité. Comme
toujours (ou presque…) dans les refuges des Pyrénées, nous sommes accueillis
très chaleureusement par les gardiens, Boris et Pauline.
Le rituel levé nocturne à 3h30, nous rappelle qu’on n’est pas venu pour
rigoler… Petit déj, marche d’approche morainique, quelques pas d’escalade
avec 25 kg sur le dos pour contourner la
langue du glacier et nous voilà au pied du filon d’ophite qui marque l’attaque
de la voie, il est 6h.
Le début de la voie n’est pas très raide, c’est du IV/V, nous optons
pour la technique « bourin » sans hisser : Devant, petit sac de
hissage sur le dos, derrière, gros sac… Tout le socle se passe bien, le jour se
lève, on commence à hisser et à remonter au jumar en second et assez vite, nous
arrivons au pied des vrais difficultés.
Rémi veut en découdre et attaque
la première longueur sérieuse de la voie qui s’avérera d’ailleurs être
une des plus exposée… Le départ en libre annoncé 6b est vraiment délicat, les
points plutôt mauvais et la difficulté obligatoire… Après 40 m sous tension, il
arrive au relais. Fin énervé (ou motivé pour ne pas aller dans la longueur
d’après…), il me propose d’enchainer sur la courte longueur d’A2 suivante. Un
beau passage sur un éboulis déversant qui constitue un bon aperçu du type
d’escalade qui nous attend pour le reste de la voie… Le déséquipement se fait
rapidement pour cause de points faciles à retirer…
Nous sommes au pied du fameux « surplomb en sucre » décrit
par les ouvreurs et c’est moi qui m’y colle.
L’escalade est vraiment
malcommode, les pitons bien que souvent profondément plantés ne
« chantent » jamais quand je les enfonce dans ce rocher en
décomposition, à la limite de la terre… Les mauvais points se succèdent, ça
surplombe toujours mais avec un peu de patience je finis par arriver au relais
avec les 3 fameux golots en fil de fer plantés par Raymond…
Heureusement, lors
de sa première répétition, afin d’y pendre son portaledge, Jérôme a mis un spit
de 8 mm dont la douille est étonnement en très bon état. Il ne reste plus qu’à
visser la plaquette et la pression redescend d’un cran. Pendant que Rémi
déséquipe, je redescends au relais d’en dessous ou la corde est fixée car c’est
là que le bivouac parait le plus faisable.
Mettre des points autour du relais
afin de tendre nos hamacs n’est pas
chose facile et me prendra pas mal de temps. Une petite marche de 20 cm va nous
permettre de manger debout dans la plus pure tradition des bivouacs en paroi à
l’ancienne !
Après une nuit bien froide recroquevillés dans nos hamacs, il n’est pas facile de sortir du duvet, lorsque l’heure du réveil sonne. Nous avalons rapidement un petit déjeuner au milieu des rafales, plions le bivouac et remontons les 30 m fixés la veille. Le jour se lève, il y a beaucoup de vent et nous nous apercevons que le ciel est chargé de nuages menaçants… se prendre la pluie à cet endroit serait vraiment problématique et nous sommes un peu tendus… On verra bien…
Rémi attaque au saut du lit par un surplomb austère constitué de blocs
instables. A chaque coup de marteau, l’ensemble de la structure tremble… Au
dessus c’est un peu plus roulant et finalement cette longueur courte est vite
avalée.
Il nous reste une longueur dure. Notre prédécesseur Oriol Baro l'a
décrit comme l’une des longueurs la plus éprouvante de sa carrière… 60 m en A2
et 6a sur des écailles branlantes…
Je pars sur des pitons plutôt bons, mais assez vite, l’escalade devient complexe. On est dans le brouillard total, Rémi immobile est
vraiment frigorifié et s’enveloppe dans son duvet au relais. J’ai l’impression
d’être assuré par une chenille !
Au bout de 30 m d’artif laborieux,
j’arrive enfin à pouvoir partir en libre. La cheminée est couverte de lichen
orange et son fond est constitué de blocs enchâssés, une escalade vraiment
désagréable et engagée qui après une longue reptation me permet d’atteindre la
fin des difficultés.
Rémi me rejoint avec le sourire, il sait que c’est gagné. Il repart vite dans la dernière longueur, 60 m en V sur un rocher presque bon...
Alors que nous atteignons la sortie, les premières gouttes se mettent à
tomber, il était moins une…Le temps de refaire les sacs, nous entamons la descente via l’arête de
Gaube sous une pluie de plus en plus pénétrante.
Nous retrouvons le refuge, sa
chaleur, son humanité. Ce changement brutal d’ambiance entre ces austères
parois que nous aimons fréquenter et la vie « d’en bas » me laisse toujours
perplexe et interrogatif quand à nos motivations profondes. Peut être est ce
que les expériences vécues « là haut » donnent un sens et une
intensité à nos vies qui nous permet de
mieux affronter notre simple condition d’être humain…
Bravo Romain
RépondreSupprimerCa fait plaisir de voir que tu carbure toujours aussi fort !!
Amicalement
PAtrick (ex toulousain qui a eu la chance de partager ta corde une ou deux fois)
Merci Patrick
SupprimerEnfin, pour le moment, je carbure pas vraiment fort ... mais bon, ça va revenir !
Romain