GUIDE DE HAUTE MONTAGNE

samedi 6 octobre 2012

Face Nord du Vignemale voie Despiau Luquet 500 m 6b/A3


Il y a des voies dont on rêve, mais dans lesquelles on n’ose jamais vraiment se lancer…
Celles-ci ont un caractère mythique qui selon la définition du mythe, oscille entre l’imaginaire et la réalité. Oui, elles sont réelles, elles existent, mais leur ascension vous parait inaccessible…
L’ascension de ce genre de voie est généralement évoquée un peu tard dans la soirée, désinhibé par l’alcool et la surenchère de vos amis !

Cette voie, ouverte en 1969 dans la zone la plus raide de la face nord du Vignemale par Raymond Despiau et Jean Claude Luquet entre dans cette catégorie.

L'ouverture dans des conditions hallucinantes pour l’époque (4 jours dans la face, des bivouacs sordides, seulement 1 l d’eau, sans parler des techniques et du matériel…) sera remise au gout du jour 25 ans plus tard par la première répétition  de Jérôme Thinières en hiver et en solo ! La même année, le boulimique « Bunny » accompagné de Pierre Beuscar s’octroient la deuxième, en été, avec seulement un bivouac. Ensuite, plus rien… Les différents récits de leurs ascensions ainsi que la réputation de ses différents ascensionnistes élèvent la voie au rang de fleuron du pyrénéisme.

Cet hiver, deux pointures espagnoles spécialistes en la matière, Oriol Baro et Sidarta Gallego réalisent
la troisième répétition en 3 jours et confirment le côté vraiment sérieux et engagé de l’entreprise.
Il va falloir se motiver…

Je me mets à en discuter sérieusement avec mon ami et collègue Rémi Thivel qui pour les mêmes
raisons que moi tarde à y aller… Afin de ne pas remettre pour la xième fois cette ascension, nous nous imposons de bloquer une semaine plus de deux mois à l’avance. Organisation familiale, refus de journées de boulot… Quelques jours avant l’échéance, la météo annoncée n’est vraiment pas terrible… Reporter encore… Trouver une excuse et « mettre le clignotant » vers une destination ibérique plus hédoniste… Non !!! On décide de tenter le coup, et de rester fidèle à l’esprit des ouvreurs qui ne s’embarrassaient pas d’une météo alors inexistante !


On se retrouve à trier notre « barda » sur le parking du Pont d’Espagne et nous voilà chacun bien chargé avec nos sacs de hissage sur le dos. Nous ne crachons pas sur les remontées mécaniques de la station qui nous font économiser une heure de marche. La suite de l’approche qui nous mène au refuge des Oulettes, aidé par le paysage magnifique qui nous entoure et la teneur philosophique de nos discutions, s’avère être une simple formalité. Comme toujours (ou presque…) dans les refuges des Pyrénées, nous sommes accueillis très chaleureusement par les gardiens, Boris et Pauline.


Le rituel levé nocturne à 3h30, nous rappelle qu’on n’est pas venu pour rigoler… Petit déj, marche d’approche morainique, quelques pas d’escalade avec  25 kg sur le dos pour contourner la langue du glacier et nous voilà au pied du filon d’ophite qui marque l’attaque de la voie, il est 6h.


Le début de la voie n’est pas très raide, c’est du IV/V, nous optons pour la technique « bourin » sans hisser : Devant, petit sac de hissage sur le dos, derrière, gros sac… Tout le socle se passe bien, le jour se lève, on commence à hisser et à remonter au jumar en second et assez vite, nous arrivons au pied des vrais difficultés.


Rémi veut en découdre et attaque  la première longueur sérieuse de la voie qui s’avérera d’ailleurs être une des plus exposée… Le départ en libre annoncé 6b est vraiment délicat, les points plutôt mauvais et la difficulté obligatoire… Après 40 m sous tension, il arrive au relais. Fin énervé (ou motivé pour ne pas aller dans la longueur d’après…), il me propose d’enchainer sur la courte longueur d’A2 suivante. Un beau passage sur un éboulis déversant qui constitue un bon aperçu du type d’escalade qui nous attend pour le reste de la voie… Le déséquipement se fait rapidement pour cause de points faciles à retirer…


Nous sommes au pied du fameux « surplomb en sucre » décrit par les ouvreurs et c’est moi qui m’y colle. 


L’escalade est vraiment malcommode, les pitons bien que souvent profondément plantés ne « chantent » jamais quand je les enfonce dans ce rocher en décomposition, à la limite de la terre… Les mauvais points se succèdent, ça surplombe toujours mais avec un peu de patience je finis par arriver au relais avec les 3 fameux golots en fil de fer plantés par Raymond… 


Heureusement, lors de sa première répétition, afin d’y pendre son portaledge, Jérôme a mis un spit de 8 mm dont la douille est étonnement en très bon état. Il ne reste plus qu’à visser la plaquette et la pression redescend d’un cran. Pendant que Rémi déséquipe, je redescends au relais d’en dessous ou la corde est fixée car c’est là que le bivouac parait le plus faisable.

Mettre des points autour du relais afin de tendre nos hamacs  n’est pas chose facile et me prendra pas mal de temps. Une petite marche de 20 cm va nous permettre de manger debout dans la plus pure tradition des bivouacs en paroi à l’ancienne !


Après une nuit bien froide recroquevillés dans nos hamacs, il n’est  pas facile de sortir du duvet,  lorsque l’heure du réveil sonne. Nous avalons rapidement un petit déjeuner au milieu des rafales, plions le bivouac et remontons les 30 m fixés la veille. Le jour se lève, il y a beaucoup de vent et nous nous apercevons que le ciel est chargé de nuages menaçants… se prendre la pluie à cet endroit serait vraiment problématique et nous sommes un peu tendus… On verra bien…


Rémi attaque au saut du lit par un surplomb austère constitué de blocs instables. A chaque coup de marteau, l’ensemble de la structure tremble… Au dessus c’est un peu plus roulant et finalement cette longueur courte est vite avalée.


Il nous reste une longueur dure. Notre prédécesseur Oriol Baro l'a décrit comme l’une des longueurs la plus éprouvante de sa carrière… 60 m en A2 et 6a sur des écailles branlantes…


Je pars sur des pitons plutôt bons, mais assez vite, l’escalade devient complexe. On est dans le brouillard total, Rémi immobile est vraiment frigorifié et s’enveloppe dans son duvet au relais. J’ai l’impression d’être assuré par une chenille !

Au bout de 30 m d’artif laborieux, j’arrive enfin à pouvoir partir en libre. La cheminée est couverte de lichen orange et son fond est constitué de blocs enchâssés, une escalade vraiment désagréable et engagée qui après une longue reptation me permet d’atteindre la fin des difficultés.


Rémi me rejoint avec le sourire, il sait que c’est gagné. Il repart vite dans la dernière longueur, 60 m en V sur un rocher presque bon...
Alors que nous atteignons la sortie, les premières gouttes se mettent à tomber, il était moins une…Le temps de refaire les sacs, nous entamons la descente via l’arête de Gaube sous une pluie de plus en plus pénétrante.


Nous retrouvons le refuge, sa chaleur, son humanité. Ce changement brutal d’ambiance entre ces austères parois que nous aimons fréquenter et la vie « d’en bas » me laisse toujours perplexe et interrogatif quand à nos motivations profondes. Peut être est ce que les expériences vécues « là haut » donnent un sens et une intensité  à nos vies qui nous permet de mieux affronter notre simple condition d’être humain…




2 commentaires:

  1. Bravo Romain
    Ca fait plaisir de voir que tu carbure toujours aussi fort !!
    Amicalement
    PAtrick (ex toulousain qui a eu la chance de partager ta corde une ou deux fois)

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    1. Merci Patrick

      Enfin, pour le moment, je carbure pas vraiment fort ... mais bon, ça va revenir !

      Romain

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